Papier d'écolier, papier de khâgneuse... Retrouvé à la suite au cours d'une vaste séance de triage de cours périmés de prépa et de fac - d'ailleurs presque pas triés car les cours les plus chiants, ceux qu'on est censé jeter en premier, à moins d'avoir des problèmes d'insomnie, sont justement ceux que l'ennui m'a fait émailler de tout un tas de dessins, commentaires et bavardages scripturaires et marginaux entre voisins qui ont automatiquement transformé l'entreprise de tri en une interminable poilade-souvenir-souvenir-que-me-veux-tu? prostrée sur les feuillets éparpillés. J'ai donc finalement remis  les piles de polycopiés de version latine annotés, de feuilles de cours gribouillées et les fiches-mémoire minutieuses (c'était moi, ça?) dans des pochettes neuves où l'on écrit soigneusement au marqueur "COURS DE GREC - LICENCE - 2000-2001", "COURS DE FRANCAIS - LA FONTAINE - 99-2000"... Parce que, savoir un étage de placard occupé par ses anciens cours de fac, ça fait bien, on se sent encore un peu intello, encore un peu étudiant, encore un peu comme à l'époque où l'on avait rien d'autre à foutre que de ficher un bouquin de Kristeva ou de recopier des passages entiers de Sophocle ou de Virgile... et surtout de trouver ça passionnant!

De plus, on tombe toujours sur quelques fines liasses de copies encore vierges, encore lovées les unes dans les autres, ou de minces feuilles de brouillon d'examen dont je n'ai jamais pu m'empêcher d'attrapper une pincée de plus à chaque épreuve, avec cette douceur inimitable du papier neuf flattant immanquablement mêmes les plus piètres envies d'écrire... Allez zou, on essaie de retrouver la capacité logorrhéique qui, il n'y a pas si longtemps, pouvait nous faire écrire plusieurs lettres de dix pages par semaine... Premier constat à la demi-page: j'ai décidément une écriture de cochon. Et c'est là qu'une petite voix sarrautesque vient me sussurrer à l'oreille:

- Tu n'étais pas censée retourner l'appartement afin de remettre la main sur cette attestation de rattachement à la déclaration de revenus de ton arrière-grand-oncle par alliance pour l'année 1497 que tu dois fournir avant la fermeture du bureau dans moins d'une heure?

Je réponds à la petite voix que j'emmerde le Service du logement, mais c'est trop tard, elle m'a définitivement fait passer le trip jeunesse... Au bout d'une vingtaine de minutes, je retrouve ledit papier et me prépare à retourner dans cette antichambre kafkaïenne fleurant bon la Pologne post-communiste... Avec cette *** de neige dehors et mes rangers aux pieds, impossible d'imaginer autre tableau... Et puis j'en profiterai pour rendre à la commissairesse le bic qu'elle m'a porte-de-prisonnement tendu pour signer le formulaire et que j'ai retrouvé dans ma poche de manteau. Eh oui, l'absurde semble contagieux. J'ai juste envie de voir sa tête face à ce geste d'une mansuétude incongrue dans le décor gris de son bureau... Quoi qu'elle pourrait être particulièrement imbue de son pouvoir et se choquer que je ne lui baise pas les pieds en plus d'avouer mon crime... Mais comme je n'ai vraiment pas envie de jouir de la mesquine victoire administrative consistant à se dire "En tout cas, bien fait pour sa gueule, j'ai gardé le stylo!"

J'en ferai magnanimement cadeau à sa sous-secrétaire...