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Il s'est endormi contre le dossier de son fauteuil SNCF, le menton appuyé sur la tête de son ours en peluche. Celui qui, quand on lui serre la patte gauche, fait entendre une ritournelle électronique d'insupportable joyeunoaile. Il avait fini par se taire pendant pas loin d'un an, on croyait la puce morte, jusqu'à ce que l'ours passe à la baignoire -pas compris comment - Jingle Bells a recommencé, plus fort que jamais, sur un inquiétant mode mineur. L'eau avait ranimé le mécanisme et comme par hasard noyé la fonction d'arrêt automatique. Au bout d'une heure, les nerfs sciés par la musiquette ininterrompue, j'ai profité du premier moment d'inattention du bambin pour dispenser une bonne dizaine de coups de marteau sur la patte musicale, sourde aux râles flûtés de la chanson agonisante. Il fallait que je le confesse, c'est fait.
Pour l'instant, il dort et l'ours à jamais silencieux lui sert d'appui-tête. Ca lui écrase un peu le menton, et ses joues veloutées, tendrement affaissées par la détente générale de ses traits endormis, donnent à sa petite bouche de corail l'aspect rebondi et luisant d'un bonbon. De temps en temps, une inspiration plus forte fait trembler sa lèvre inférieure comme le léger sursaut d'un noyé, immédiatement suivie d'un soupir dans lequel on sent tout l'abandon du monde. Sa jambe, qui pend dans l'allée, me fait penser à la patte que les jeunes lions laissent pendre dans le vide lors de leurs siestes arboricoles, dont la nonchalance laisse néanmoins deviner la force souple et musculeuse.
Le paysage défile en ombres légères sur ses paupières pâles et bleutées, aux longs cils de fille sous ses sourcils imperceptiblement froncés, donnant à son sommeil le caractère grave des choses importantes. La masse plumeuse et iridescente de ses cheveux de lin appelle l'aventure des doigts qui viennent négligemment les émécher, brin à brin, éprouvant entre le pouce et l'index le crissement ténu et presque imaginaire de quelques boucles emmêlées.
Ses grosses mains de petit garçon dorment elles aussi d'un sommeil presque personnel avec leurs petites fossettes qui évoquent les traits d'un visage, croisées sur le ventre de l'ours dont elles semblent les propres paluches, et qui glissent tout doucement, fragilisant le dormant et précaire assemblage. Il y a quelque chose de tellement innofensif dans ses mains au repos qu'on se prend à les imaginer bien plus terribles en état de veille, prêtes à griffer, à broyer, avec la force colossale et terrible de l'innocence. Alors on retient un peu plus son souffle, pour ne pas éveiller la petite bête.
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