"Mercredi 25 mars

L'angoisse du temps qui avance et de la page qui reste blanche... Toujours en retard ou en avance, jamais dans le présent... J'aime quand on ne m'aime pas et l'on m'aime quand déjà je n'aime plus. Toujours à repousser l'échéance, à fuir en avant ou me réfugier dans le passé, portant le masque d'un orgueil qi s'efforce d'arborer tout ce que je ne suis pas. Je n'ai jamais encore dévoilé mes sentiments sans quelque détour, ou quelque mise en scène... Adolescente encore et, comme le vieux roi Ferrante, déjà si lasse. Ou du moins, je crois l'être... J'ai pourtant tout à vivre, tout à dire, tout à faire, tout à aimer... Pourtant, le peu que j'ai vécu, dit, fait ou aimé s'est perdu, par ma faute. Je ne l'ai pas fait, je n'ai pas su le faire au bon moment et tout ce peu s'est noyé dans le vide pour ne plus rien devenir.

Et déjà, je me sens lasse, lasse d'essayer, d'espérer et de rater toujours. (...) Aujourd'hui, c'est moi qui doute... Mes prières sont vides, mes instances sont creuses.

(...) Comment se relever après ce que m'a écrit S.? Je pensais y avoir réussi un temps... Mais mon image debout n'est qu'un mirage prêt à s'évanouir pour peu qu'on s'en approche d'un peu trop près. Tiendrais-je seulement si je devais lui parler en face? Comment exhorter quelqu'un à croire quand on n'est soi-même plus très sûr d'y parvenir?

(...) Si seulement je pouvais me sortir de ces doutes... J'ai l'impression d'être au milieu d'une mare ou d'un étang, d'une eau stagnante, presque solide à force d'être immobile, au coeur d'une campagne désertique, abrutie de soleil et de chaleur. Pas un oiseau alentour, pas un souffle de vent, l'eau même ne parvient pas à me rafraîchir. Et je suis là, tout étonnée et stupide, et je me dis "Bon, il faudrait peut-être que je sorte..." Semblant me complaire à patauger, inutile dans ce marais saumâtre... J'appelle, mais d'une voix si faible... Au fond, à quoi bon? Et je me sens lasse... lasse... et je m'enfonce sans me débattre... A quoi bon? Encore un peu, que je cesse de respirer... Cette eau est tiède et elle m'écoeure... Je n'ai rien fait, rien dit, rien aimé. Je n'aurai pas vécu parce que je ne veux pas vivre, car je veux que tout m'arrive sans que j'aie à bouger en me disant que j'ai bien le temps. Et désormais, ce temps, je ne l'ai pas."