"Jeudi 26 mars

Ma maladie est de vouloir être aimée, admirée. Orgueil et Vanité veulent être comblés, comme deux démons insatiables qui toujours réclament leur pitance et jamais ne s'en contentent. Ils n'ont pour leur faire face que l'écorce fragile du peu de bon qu'il y a en moi. Cet ego que j'adore, comme je le hais... J'ai peur d'affronter les gens et les événements en face. Si j'avais autant de courage que je le prétends, je téléphonerais à S. pour m'expliquer enfin. Mais à quoi bon puisqu'il biaiserait à sn tour... Comme C. qui ne cesse de me poignarder dans le dos sous prétexte de ne pas me "faire de peine". Je hais ces moyens détournés et sa mine faussement apitoyée quand elle me dit "Je suis désolée" alors que ses yeux froids me transpercent comme pour dire "Tu parles!".

Elle-même ne baigne-t-elle d'ailleurs pas dans sa propre illusion? Tout est creux, vanité, apparence dans ses attitudes d'austérité et de vertu apprêtée, affichée, même... Je ne peux m'empêcher de penser à cette phrase d'une nouvelle de Bloy que Caquet nous avait lue en cours: "Son fonds, c'était d'être chaste." Pour elle, ça veut dire s'habiller en bonne soeur en civil, jupe écossaise sous le genou, carré Hermès avec le stock de médailles par dessus, mais surtout tenir un calendrier serré de tous les bals d'écoles militaires pour surtout n'en rater aucun...(...)

"vous êtes vide de tout et d'abord de vous-même"

(...) S'ils savaient! S'ils voyaient l'abîme de doute, d'hésitations et d'angoisses qui me ronge! Je vis au milieu du vide, tout ce que je fais est vide, je parle dans le vide et le vide ne me répond pas. J. ne me répond pas, S. ne me répond pas, j'ai posé une question claire à C., elle ne m'a pas répondu. Je prie et Dieu ne me répond plus. Je me sens seule, vide de tout et d'abord de moi-même... ou plutôt trop pleine de moi-même.

(...) Je ne sais pas.

(...) Tant de pages noircies de réflexions, calculs et théories, de nuit passées en larmes et en prière pour aboutir à cette seule réponse d'un cynisme à vous faire hurler de rire et de peur: JE NE SAIS PAS.

Vous non plus ne savez rien, derrière vos grands airs et vos belles leçons, vous mourrez alors que vous ne savez toujours rien... Après votre mort seulement, peut-être, vous saurez et vous regretterez d'avoir perdu votre temps à courir après ce qui ne vous appartenait pas. Après votre mort, peut-être vous saurez tout et vous verrez alors que vous n'êtes rien face à ce que vous savez désormais... Et là, je souhaite que vous ayez peur...

(...) Quand tout cela finira-t-il? J'en ai assez de craindre toujours, sans jamais savoir exactement ce que je crains."

" 27 mars

C. m'ignore royalement... Je n'ose pas lui demander à nouveau si elle veut m'y accompagner ce soir. Je m'attends non seulement à un refus, mais, ce qui est pire, à une ènième excuse bidon... Le genre de manoeuvre grossièrement ficelée qui font plus de mal encore que la plus désagréable des franchises. Un peu de courage, au lieu de jouer les bons apôtres...

(...) Je lui ai finalement demandé: elle ne viendra plus. Elle m'a enfin dit la raison véritable. Celle que je craignais mais qui, au fond, me soulage. J'ai laissé dire. Tant pis."

"30 mars

Toutes ces demoiselles qui ne cessent de papoter dans le couloir avec la musique à fond commencent à m'énerver sérieusement. J'ai beau leur demander de faire moins de bruit, c'est comme si je faisais le poirier sur mon lit, c'est à dire que dalle! On a un DST d'Histoire demain mais visiblement, je suis la seule de l'étage à avoir envie de ne pas m'y planter. (...)Pourquoi ai-je échoué dans le couloir des tratras, bordel??? Mais en fait, l'hypokhâgne, elles s'en fichent parce que ces demoiselles veulent intégrer Sciences-Po, elles... gnierk gnierk gnierk... Laisse-moi rire.

Ah mais si, elles révisent: dans deux jours, c'est le bal de je ne sais quoi comme école de milouzes et elles peaufinent leurs passes de rock... Si si... Sur de la variété française des années 80... Si si... C'est comme ça qu'on le danse dans le milieu... Note pour la postérité: je HAIS "Voyage-Voyage"; je HAIS Elmer Foot Beat (pas très vertueux, celui-là, non?); et je sur-HAIS "Partenaire Particulier"... Là-dessus, une d'entre elles gueule par dessus la musique, dis A-M, tu pourrais me passer ton collier bleu pour demain soioioir? - Pourquoioioi? Il est vachement beau ton vert... - Ouiii mais je le portais déjà au bal de Navale le mois dernier et si je recroise ***ec (oui, les mecs tratras ont toujours des noms bretons en -ec) et que j'ai le même collier, je vais avoir la honte..."

Rhaaaah... Mourir...

(...) C'est quand l'Apocalypse, déjà?"