Le plus pénible, dans ce que l'on appelle Troubles Envahissants du Développement (dits aussi TED), soit encore un diagnostic tortueux pour dire qu'on voit bien qu'il y a un problème sans pour autant savoir exactement lequel et encore moins comment le soigner, le plus pénible, dis-je, c'est la répétition systématique des mêmes choses, des mêmes obsessions, des mêmes bêtises, des mêmes colères:

pour une chemise ou un manteau pas boutonné jusqu'au col; pour des legos ou des cubes qui ne peuvent tenir indéfiniment en empilements vertigineux et instables; pour un jouet cassé parce qu'il vient de traverser la pièce en volant parce qu'il venait de croire qu'il était cassé alors qu'il ne l'était pas et maintenant il l'est pour de bon; parce que le logo en haut à gauche de l'écran où passe son programme pour enfants n'est pas le même que celui de d'habitude; parce que, si c'est amusant de faire le logo de Renault ou de Citroën avec des allumettes, c'est un peu plus compliqué de faire celui de Peugeot par le même biais; parce que sa voiture à une cinquième roue - de secours - et que ça le perturbe jusqu'à l'angoisse, cette roue en trop alors que les quatre emplacements sont déjà pourvus... Et ça se finit toujours par des hurlements et des larmes, quand ce n'est pas de grands coups de tête sur le mur. Et ce tous les jours.

Il n'y a aucun sens figuré, ni aucune exagération stylistique dans ce qui précède.

Je dois me ligoter moralement pour ne pas tenter de lui remettre le cerveau en place à coups de baffes, parfois. Je dois avoir soit des voisins parfaitement indifférents ou alors des murs parfaitement insonorisés pour ne pas encore avoir eu un coup de sonnette des services sociaux, avec cette bonne dizaine de crises de hurlements par jour.

J'ai demandé à S. de laisser un peu tomber ses "projets"-hyperréalistes-visant-à-trouver-le-moyen-de-gagner-un-maximum-d'argent-sans-avoir-à-se-lever-tous-les-matins-et-ce-de-manière-honorable... J'ai fermé les yeux sur l'assoc' qui devait organiser des concerts censés rapporter plein de pognon et qui nous a permis tout juste (heureusement) de rembourser les frais de mise en place; j'ai rien dit pour le site internet de vente qui dort toujours dans les limbes de l'Html; je me suis contentée de lever un sourcil aux mille et un potes de potes de potes de potes de potes qui connaissent des potes qui peuvent avoir des tuyaux infaillibles pour draguer la cocotte aux oeufs d'or. En ce moment, il s'agirait de vendre des cours de Français par internet hyper cher à des étudiants japonais qui seraient prêts à payer un prix d'or pour ça. Tu parles japonais? Non, mais justement, le meilleur moyen pour eux d'apprendre, c'est l'immersion totale. Et en se trouvant des correspondants Français sur ICQ ou MSN, ils ont la même chose gratos, non? Battement de cils appuyé... Mais je n'y connais rien, je ne peux pas comprendre, c'est facile de jouer les oiseaux de malheur et tout et tout... Chéri, moi je veux juste un coup de main le soir en rentrant, parce que je n'arrive pas à tout faire et en plus avoir le sourire. Je me suis fait traiter d'ingrate, qu'il fait tout ça pour nous, justement pour nous faciliter la vie plus tard. Sauf que je n'ai pas envie d'une vie plus qu'hypothétiquement aisée dans dix ans. Je veux juste une vie un peu moins pénible maintenant.

Alors il paraît qu'il faut que je parle sur un autre ton.

Itération: Cinquante huit mille neuf cent trente deux et des poussières...