Je devais ne reprendre que début octobre novembre, nom de Zeus!.

Mais j'ai décidé, avec l'accord de S., de prolonger mon congé de six mois encore. Petite encore trop petite pour que j'aie le coeur de la confier à qui que ce soit. Petit qui ne cesse de me préoccuper: les vacances lui ont certes fait du bien, quelques progrès mais tellement infimes... Tellement lents au regard de l'énergie dépensée pour capter son attention, essayer de le faire se concentrer plus de deux secondes sur nos paroles... Alors certes, à présent, il emploie deux mots par phrase, au lieu d'un seul... J'ai remarqué que prononcer des mots un peu complexes lui demande un effort considérable, mais qu'il ne se démonte pas, qu'il essaie, le répète, le répète jusqu'à ce qu'il s'améliore dans sa bouche. Parfois, il peut venir longtemps après me répéter encore ce mot, insister pour que je le redise à mon tour, comme pour vérifier que sa prononciation est bonne... Et la psy qui me parlait de paresse... On ne peut pas dire, non...

Sinon, il parle très bien avec les yeux... Il sait faire des milliers de regards différents avec ses grands yeux étranges, gris foncé avec de curieuses marbrures brun clair et frangés de cils immenses. Avec ses yeux, il imite, il se moque, il fronde, il attendrit, il énerve à l'envi... Il sait aussi bien séduire n'importe quel public, singer à la perfection une mimique ou une attitude observée chez un adulte. La psy me disait qu'il semblait néanmoins préférer les objets aux gens, auxquels il ne prêtait pas attention... On peut pas dire non plus... C'est sûr qu'au départ, les gens, ils sont sous le charme de ce joli bonhomme, jusqu'à ce qu'ils veulent entamer la conversation à coups de "Comment tu t'appeeeellles? - Tu as quel âââge? - Tu es content de rentrer à l'écoooole? - Tu es content d'avoir une petite soeueueueur?" Et que lui ne répond pas, hormis quelques aimables borborygmes émaillés des un ou deux mots qu'il aura saisi dans la question... Ca ne loupe jamais, dès que l'éconduit(e) aura un moment pour me parler discrètement, il/elle viendra vers moi l'air impliqué pour me demander s'il n'a pas comme un problème au niveau de la parole... Du tout, y dit qu'il t'emmerde... Arf, j'avais pas remarqué.

En revanche, il connait tous les chiffres et tout l'alphabet et épèle tout ce qui lui tombe sous la main... Premier gosse à savoir lire avant de savoir parler, chapeau! Mais ça ne reste que des signes isolés, qu'il déchiffre sans pour autant les mettre en relation avec le mot qu'ils forment, encore moins avec la réalité que celui-ci formule... Des signes qui suscitent pourtant chez lui un enthousiasme frénétique - il est capable d'embrasser fébrilement une plaque d'immatriculation - tout comme les logos publicitaires qu'il est capable de reconnaître parfaitement et dont il me rebat les oreilles avec une joie exaltée... Mais qu'est-ce que je m'en fous de Leclerc ou du Crédit Agricole, moi??? Je ne sais même pas d'où il en connaît autant. La télé bien sûr, bien qu'elle soit cassée chez nous depuis février... Là c'est sûr que le matraquage, il a bien réussi. Je n'échappe à aucune enseigne, aucun panneau d'affichage, aucune micro pub glissée au bas d'une page de magazine... Rien qu'il ne me montre triomphalement du doigt, tout fier d'avoir reconnu Renault, EDF ou Optic 2000... Quand j'y songe en phase de bonne lune, je pense à me faire payer par toutes ces maisons puisque j'ai un diffuseur publicitaire permanent à mes côtés... Quand la lune est mauvaise, je songe à poser des bombes chez Publicis et consorts... Et quand la lune est très mauvaise, je songe à me faire sauter avec, et lui aussi.

Ca ferait un bon scénario de film à émotions, ça: la mère de famille désespérée qui prend le siège de JC Decaux en otage et que le gentil flic négociateur empêchera in extremis de s'immoler par le feu lui racontant que la vie vaut tout de même la peine d'être vécue...

Bref, tout ça pour dire que si je veux prendre le problème à bras le corps, que ce soit emmener le petit chez un orthophoniste, apprendre les meilleurs techniques de mise à feu et éviter autant que possible la jachère intellectuelle et conjugale, il vaut mieux que je ne reprenne pas le boulot tout de suite...

Comme maman, quoi...