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"La fête de Vanessa ne faisait pas mentir sa réputation de prodigalité somptueuse. On avait ouvert toutes grandes les baies à arcades qui donnaient directement sur la lagune: l'odeur entêtante des eaux mortes soulevait comme une marée les parfums des gros buissons de fleurs, leur donnait cette même opacité funèbre et mouillée qui nous glace les tempes dans une chambre mortuaire. Par les baies noires, on apercevait un fourmillement de barques qui portaient des fleurs et des lumières sur la mer. L'éclairage, tamisé par les panaches serrés des feuilles retombantes, faisait flotter la salle dans un demi-jour verdâtre et vitreux de grotte moussue et d'étang habitable qui engluait les mouvements, laissait traîner derrière chaque poignet étincelant comme la bavure d'argent d'un sillage perceptible, et protégeait autour de la musique la vibration intégralement transmise d'un air presque liquide, une zone de plus profond, de plus intime ébranlement. Je retins un mouvement de recul, comme si j'avais soulevé la portière sur un spectacle par trop privé. Il y avait dans la salle assez peu de monde, mais je fus frappé par quelque chose de singulier dans l'attitude et la disposition des groupes qui, plutôt que d'une salle de concert, parlait de fumerie d'opium ou de cérémonie clandestine, etqui me conseilla de rentrer dans le rang rapidement. Je plongeai vers un siège dans la pénombre et m'assis en hâte, retenant malgré moi ma respiration.
La musique très lourde et très sombre, l'éclairage voilé et les parfums absorbants me dépaysaient. Il me sembla que je reprenais lentement mes sens, comme si j'étais tombé par une trappe, et que je les reprenais seulement un à un, entraîné d'abord au fil seul de cette musique envoûtante, puis dilaté dans l'explosion même de ces parfums fiévreux. Je commençais à mieux voir dans la salle, et j'étais de nouveau frappé par la liberté d'attitude et de gestes des couples qu'avait attirés là, comme on pouvait s'y attendre, la promesse d'un relatif isolement. Une subtile atmosphère de provocation, un magnétisme sensuel insidieux me paraissaient soudain s'allumer ça et là à la courbe d'une nuque trop complaisamment affaissée, à un regard trop lourd, au luisant gonflé d'une bouche s'entr'ouvrant dans la demi-obscurité. Des mouvement légers s'éveillaient, ébauchés seulement, à peine perceptibles mais qui soudain bougeaient plus purement que d'autres pour l'oeil, à la même profondeur, eût-on dit, que les gestes d'un dormeur. Cependant, au milieu de cet éveil de grotte marine, j'éprouvais soudain distinctement, comme un souffle sur la nuque, le sentiment d'une présence plus alertée et plus proche. Je jetai les yeux rapidement autour de moi. Presque à me toucher, m'apparut-il, tellement je m'y heurtais soudainement comme à une porte, le visage d'une jeune femme était tourné vers moi. Et je compris, au happement nu avec lequel ils s'emparaient des miens, dans un au-delà souverain du scandale, qu'il n'était plus question de me détourner de ces yeux."
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