Plus jeune je m'étais entraînée à faire crisser sans broncher mes ongles sur un tableau noir. Comme ça. Pour éprouver cette petite jouissance électrique qui prouve qu'on a le contrôle de soi, tout en ayant le pouvoir de faire hurler les autres. Ces derniers temps, mentalement, je passe et repasse mes ongles sur ce tableau, lentement et cherchant à ressentir ce frisson qui court le long du bras jusqu'aux creux de la nuque. Retrouver cette sensation de contrôle, si ce n'est des gens et des choses, de mes propres nerfs, le seul empire que je puisse véritablement avoir, et encore...

Les petits me prennent trop pour que j'aie l'énergie ou ne serait-ce que l'envie de retourner faire cours. Cette oisiveté (toute relative) m'ayant de plus fait entrevoir la possibilité de créer quelque chose de mes propres mains effiloche irrémédiablement les derniers lambeaux du désir d'inculquer quoi que ce soit à des enfants qui ne sont pas les miens.

Mais par ailleurs, je ne me suis jamais sentie aussi accaparée que maintenant. Quand j'ai fini le minimum syndical, je suis déjà tellement fatiguée que mes yeux et ma main ne sont plus bons à grand chose... Alors, les brouillons, les ratés s'accumulent dans les cartons, comme les projets avortés dans ma tête... Car il n'y a que ma tête qui ne soit pas totalement prise, aussi, ça travaille, ça jauge, ça évalue, ça abandonne, ça désespère, ça se dit que ça me ferait mal au cul d'oser me contenter d'un truc bâclé alors ça remet à plus tard... Et résultat, ça a l'impression d'avoir bossé comme une malade alors que dans les mains: rien. Rien à proposer, rien à montrer... Je voudrais quelqu'un qui me cadre, quelqu'un qui me conseille, quelqu'un qui m'encourage et m'engueule au besoin. Quelqu'un qui y croie pour moi, parfois, aussi... Parce que j'ai besoin qu'on me secoue... Seulement, je n'ai même pas la première esquisse qui pourrait convaincre qui que ce soit que j'en vaux la peine.

Comme souvent, je me console en me disant que ça n'aura qu'un temps, qu'ils vont grandir... Comme pour les ongles sur l'ardoise, ce n'est pas si terrible que ça une fois qu'on a mis de côté "l'idée qu'on s'en faisait"... Mais je sais que ça m'use, au fond, lentement, tout doucement... Et souvent je crains de juste finir confite dans l'aigreur...