C'est décidé, je pars mercredi avec le petit sous le bras et la petite sous la robe pour aller chez mes parents dans ce bout de fin de terre... Je pourrai - dit-on - m'y reposer, au moins le monstre pourra se saouler à l'iode et au vent, et puis là-bas, la maternité n'est pas en "Wéduction de pe'sonnel, Madhame, pou' le mois d'août plus de place on peut pas fai' de liste d'attente. Désolée Madhame, au wevoi' Madhame"...

Drôle de se dire qu'on part à deux avec des bagages pour trois et qu'on reviendra à trois avec des bagages pour dix... Moins drôle d'imaginer dans quelle ambiance on va débarquer. A des lustres et des lieues de l'El Dorado que ce fut il y a bien longtemps... S. y est toujours persona non grata, plus encore non dicenda et malgré mes fermes résolutions, je sais que l'air de rien, quand je parlerai de nous, je dirai "je", j'éviterai de prononcer trop souvent son nom... Non, il faut que je tienne et tant pis si je vois les rides au coin de la bouche maternelle se creuser imperceptiblement. Je suis dingue moi même: arriver le ventre plein de lui et ne pas oser l'avoir aux lèvres, je suis vraiment la fille de leur mauvaise foi. Au moins, la première semaine, il n'y aura que mes jeunes frères, quittés hier adolescents, aujourd'hui presque jeunes hommes. Cela me laissera le temps de réinvestir la maison sans avoir l'impression de n'être plus qu'une invitée chez mes parents. Ma soeur ne sera pas là et je ne cache pas que c'est tant mieux.

La famille ne cesse de se barrer en plus que n'importe quoi depuis que j'en suis partie il y a trois ans et demi. Je ne dis pas que c'est mon départ, non. Disons que je me suis barrée à temps, je crois... D'abord, ce sont les vieux qui meurent année après année, les survivants qui attendent de les suivre, et les jeunes qui ne sont pas fichus de faire des petits pour les remplacer, qui parce que études interminables, qui parce que surtout Institution Sacrée du Mariage d'abord et que la Divine Providence a dû égarer certains numéros dans la loterie matrimoniale en ce qui nous concerne... Et celle qui triche en sautant par-dessus le tourniquet, eh ben... Mais on connait l'histoire...

Et puis la dernière nouvelle pour abattre encore un peu les ruines de cette famille du siècle dernier: mon oncle, prêtre (ben oui, en plus des militaires) est en prison depuis quinze jours. Pourquoi? Pourquoi met-on un prêtre en tôle, en général? Pas pour avoir volé des hosties, non. Bien sûr... Evidemment... Une seule accusation, paraît-il. De qui? on ne sait forcément pas... Le pire est que l'affaire ne sera pas jugée avant un an, mais un an en tôle par présomption de culpabilité, hein qu'est-ce que c'est? Je suis étrangement "détachée", au fond. Je n'y crois pas une seconde, bien sûr... Mais que voulez-vous que j'en sache, moi?

Merde.

Mon oncle, c'était le jeune prêtre qui portait encore la soutane uniquement parce que ça faisait chier les bigottes et forçait le respect des loubards dans sa première paroisse. C'était celui qui nous apprenait des chansons paillardes et avec qui on traversait la France avec Led Zeppelin à fond par les fenêtres ouvertes de sa 4L déglinguée. Celui dont le presbytère ne désemplissait pas - et qui abritait accessoirement nos soirées loin de Papa-Maman - celui dont les petits cousins dévalisaient l'inépuisable trésor de dragées pendant que les plus grands mettaient la main sur les (beaux) restes de sa collection de Bd d'avant sacerdoce (et il n'y avait pas d'ouvrages de cul, je le jure, m'sieur le Juge!)... Celui qui disait "Je te prête mon vélo... Ah non, il y a un gars que j'ai hébergé cette nuit qui a dû partir avec les pneus, tu n'auras qu'à marcher." Celui qui croulait sous les cadeaux de ses paroissiens, des scouts à qui il avait consacré son énergie et son charisme pendant des années... Des scouts, ben oui... Forcément... Les p'tits gars en short, ça doit donner des idées, hein, monsieur le curé? Il serait temps d'arrêter le mythe des icônes vaguement gay gouachées par Pierre Joubert dans la collec' Signe de Piste dont je n'ai jamais vu aucune incarnation dans toute la scoutitude réelle: en vrai il n'y a rien qui donne moins envie d'être tripoté qu'un scout avec ses jambes poilues et ses Pataugas qui puent, faut être réaliste. Mais c'est mon avis... Me dira-t-on.

Voilà ce que je sais de lui, moi. Je sais aussi malheureusement que la Justice c'est un peu la roulette russe et que ce n'est pas parce qu'il... que... et inversement. Quoi qu'il en soit, si mal y eut, il a été fait. Et si mal il n'y eut pas, désormais, c'est tout comme... Encore un lambeau du tableau familial qui s'en va.

Rouvrez donc les bordels, nom de D***!