Après trop de jours d'errance à travers d'autres néants virtuels et laborieux, je reviens chez moi avec le ferme intention de faire de l'ordre... Non, je n'écrirai pas sur le printemps ni les palpitations hormonales des premiers beaux jours... Ou peut-être que si: je reviens de 15 jours de site de rencontres.

Expérience intéressante que celle des sites "de rencontres": faire un site consacé au fugace, autant dire un site de néant. J'en ressors convaincue que la rencontre est un art délicat que peu savent manier. Mais, démocratie oblige, il faut convaincre tout un chacun que l'âme soeur est à sa porte, il suffit juste d'avoir le matériel pour...  Message type: "Slt, moi c truc, [des fois qu'on pense que truc, c'est son concierge], plutôt mignon, d'après certaines [non, je n'ai pas la dalle, il y a plein de filles qui me courent après mais je cherche autre chose, moi, je suis un idéaliste...] 1 m 80 pour 75 kilos [Et la hauteur au garrot, svp?]. J'm bien ta page alors, si ça t dit, on pourrait dial ["dial" c'est pas taper sur des touches de téléphone, ça?] autour d'1 verre dans un endroit sympa [parce que les endroits chiants, c'est sûr...] A plus bisous. Truc."

Bon, oui, effort de concision, niveau socio-culturel pile-poil dans le médiocre, mais bon... Qu'est-ce qui me donne plus envie de lui répondre qu'à cette autre version?: "Slt, trop bien ta page![Alors que je m'étais évertuée à composer la page la plus rébarbative du site] Moi c'est Chose [pour ne pas qu'on le confonde avec Truc, sans doute], j'adore voyager, rire, mes amis, le soleil et le sexe bien sûr (autant être franc! lol!)[Aaah, c'est donc toi qui... Comment pourrais-je oublier un tel éclectisme?] et je déteste l'intolérance et les fachos [...] Si tu veux une rencontre sans prise de tête [:-D] on peut dial [suivi en général d'une batterie d'adresses mail-msn-aim-numéro de portable et de bureau... je comprends mieux le "dial" mais ne vois toujours pas l'excitance de la chose en soi] et se retrouver dans un endroit sympa..."

Je crois que le "sympa" est un concept essentiel dans ce genre d'univers, corrélat de celui d' "être soi-même"  (son antonyme étant à n'en point douter la 'prise de tête'): "Mec sympa", "fille sympa", "endroit sympa" "Qu'est-ce que tu penses du dernier Almodovar? - Très sympa" Sympasympasympasympa et j'ai des visions de sourires colgate assortis d'un petit clin d'oeil complice l'air de dire "t'es vraiment une fille sympa, toi", devant un thé menthe-pignons de pin dans un café où tout le monde sourit de la même manière en se dandinant d'un air imperceptiblement habité aux sons afrocubains d'un groupe de rue hyper-sympa qui joue sur le trottoir d'en face-que-ça-me-donne-des-envies-de-voyage-pas-toi-?-l'été-dernier-j'étais-à-la-Havane-c'était-vraiment-sympa-j'adore-les-musiques-du-monde-et-la-salsa-en-particulier...

Je trouve vraiment Fidel Castro sympa... Aussi...

En allant voir quelques pages féminines, j'ai eu un instant de pitié pour ces hommes, visiblement massivement majoritaires... La plupart des pages de femmes, alors que déjà peu nombreuses, comportent l'avertissement suivant: "messieurs, ne m'écrivez pas, svp, j'ai déjà un copain et je ne cherche que les femmes afin de m'initier aux plaisirs féminins. Tout message masculin ira donc directement à la poubelle"... Curieux phénomène, mais que je peux comprendre: après tout, il est vrai que nous avons la peau douce et qu'il est dommage que ce soit toujours les mêmes qui en profitent, même si, en fin de compte, je me vois mieux vieillir en compagnie d'un vieil homme que d'une vieille femme... Ceci dit, ces annonces pourtant incisives n'en ont pas pour autant répondu à mes messages (pourtant féminins...)  Il est sûr que, étant donné que je ne proposais pas immédiatement mes services, me répondre devait être considéré comme une perte de temps... J'ai fini par en conclure que les femmes elles-mêmes ont tendance à considérer leurs consoeurs comme des objets sexuels de consommation purement hédoniste et immédiate...

Là, j'aurai appris un truc.

J'étais partie là-bas en pensant tomber sur un univers enfin régi par le Verbe-Roi, où l'on pouvait appréhender l'autre selon une perspective moins convenable, plus libre, rendant à la parole sa juste place... La liberté ne s'y manifeste que dans les propositions de fantasmes à réaliser à la sauvette, rédigés d'une main dans un style télégraphique minimal, surveillant d'un oeil qui son patron, qui bobonne probablement... Misère de l'humain...

Je suis revenue avec l'envie de transformer les Larmes du Saule en blog "sympa" pour avoir plein de lecteurs, avec des couleurs flashy parce que le kitsch, c'est tellement plus sympa quand c'est assumé. Et puis j'y raconterai par le menu la couleur de mon vernis à ongles (forcément flashy parce que dans le fond j'suis encore une sale gamine, mais tellement attachante) et puis mon dernier fou rire parce que, comme toute personne sympa, j'ai des tas d'amis sympas avec lesquels je fais des tas de trucs délire de grands gamins... Et puis de temps en temps, je raconterais mes états d'âme sur la lecture du dernier Gavalda parce qu'elle écrit vachement bien et que je me reconnais drôlement dans ce qu'elle raconte, quand même...

Je suis une fille sensible... et sympa.

Et puis il y a eu ce petit lien vers une chanson qui porte mon nom, pleine de mélancolie et de poésie urbaine... "Elle n'est pas triste, elle s'adresse à notre tristesse"...

Donc, décidément non. Je reste au noir... Avec quelques touches de gris.