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S. avait laissé un paquet de Camel sur un des rayonnages de la bibliothèque. Dedans, une cigarette. A la fenêtre de la cuisine, je l'ai allumée.
J'avais un tout petit peu fumé pendant la grossesse, mais plus du tout depuis la naissance... Je ne sais pas, mais le fait de me dire que le lait de la petite puisse avoir un arrière-goût de cendrier me retient un peu.
Cette première cigarette après une interruption somme toute assez courte - il m'est arrivé de m'arrêter plus longtemps que ça - m'a pourtant brusquement rappelé le goût des premières bouffées, à l'âge de 13 ans (bigre): un léger gratouillis au fond de la gorge, une légère palpitation dans le ventre à l'évocation de l'interdit, le frisson du courant d'air gris de la fenêtre ouverte semblable à celui des planques dans le froid au fond du parc... Il y a 13 ans, bon sang. On développait des ruses de sioux vaguement superflues pour ne pas se faire repérer par les pionnes à l'internat ou par les adultes pendant les vacances, d'itinéraires détournés en regroupement différés; j'avais même confectionné avec ma soeur une boite à double fond contenant à première vue colifichets et bijoux divers et, sous le faux fond, les cigarettes sagement rangés à côté d'une boite de cachous. L'astuce était ingénieuse à ceci près: dès que l'on ouvrait la boite, celle-ci dégageait une délicieuse, mais reconnaissable odeur de tabac frais mélangée à celle du réglisse. Ceci dit, on a dû s'en servir un été puis, en prenant de l'assurance, il était tout de même plus simple de sortir naturellement pour une ballade d'après-dîner, le paquet de malboro au fond d'une poche de vareuse.
Elle était trop forte. Trois bouffées m'ont suffi. Depuis un moment, je ne fume plus que de très légères et fines tiges ("des clopes de Parisienne", comme on m'a fait la réflexion dans la rue. Ca tombe bien j'en suis une), pour le geste, l'aspiration concentrée le regard perdu sur la petite braise qui rogne le papier. Je l'ai éteinte délicatement sur le rebord de la fenêtre pour en conserver le restant, autre geste-réflexe d'il y a longtemps, même si tout le monde sait qu'il y a peu de choses plus infectes que le goût d'une cigarette entamée.
J'aime l'odeur fumée de la mèche de cheveux que je passe sous mon nez en écrivant cet article, j'y vois défiler en délavé les ciels mélangés de mon internat en forêt de Saint-Germain, les hivers de Strasbourg et le plafond blanc d'une chambre de prépa.