Alors je viens de remettre la main sur mon cahier de cours d'IUFM et je dois reconnaître que si la pitance reste assez maigre (j'ai toujours pris l'habitude de ne noter que le minimum... Ici, si on enlève les dessins, réflexions personnelles et autres gribouilles, il tient sur une dizaine de pages, pas plus) je retrouve tout de même quelques notes, souvent des citations, illustrant assez bien le vide pontifiant de ce type de formation. Exemple: "On peut appeler "oral" toute situation langagière mettant en jeu la voix, qu'il s'agisse de communication sans distance ou avec distance". Intéressant, non?

Au hasard et en vrac, je relis des intitulés de conférences et tables rondes dont j'ai oublié le contenu - c'est ça de bouquiner en même temps - comme "Du primaire au secondaire: le passage d'un référent unique à plusieurs référents"... Ca donne pas envie? Traduc: Ben oué, les petits, en primaire, ils n'ont qu'un instit pour toutes les matières en général, et quand ils arrivent au collège, ben ils ont un prof par matière, donc on va se prendre le chou en atelier pour voir à trouver des stratégies pour que ça les perturbe pas trop, c'est dire à quel niveau on mesure leur capacité d'adaptation. Que ceux qui ont été traumatisés par ce "passage à référents multiples" lèvent la main. Sérieux. Y a pas plus important comme question?

Là encore, une autre conférence: "De l'événementiel au traitement de l'événement"...  Celle-ci j'ai même pas dû y aller et je ne saurai donc jamais ce qu'il entendaient par là, encore moins en quoi j'étais concernée, mais bon...

Ah puis tiens, the highlight of the year, la conf qui faisait palpiter d'avance les petites stagiaires - ainsi que les formatrices avides de "temps forts"- "Education et résilience", par la star de la pédagogie positive, le psy charismatique canonisé par Télérama et Pélerin magazine, Boris Cyrulnik en personne... J'ai dû roupiller.

Mais tout ça n'est encore rien à côté de cette magnifique invention que sont les  GAP. Alors en plus d'être le Starbucks du vêtement et accessoirement de signifier "fossé" en anglais, le GAP est un des incontournables de la pédagogie moderne (oui celle-là même qui, pour les cours d'EPS, qui furent quand même le front pionnier des sciences de l'éducation, a fait remplacer dans les textes théoriques les termes "ballon" et "balle" par celui de "référentiel bondissant", n'est-ce pas que c'est joli) et signifie tout simplement "Groupe d'Analyse des Pratiques", résumant assez bien les sacro-saints piliers de l'institution: 1) le Ggggroupe, l'entité démocratique d'où sont censées naître toutes les vertus, à l'inverse de l'individu, soupçonné des pires tares, de l'ambition personnelle à la tentation autoritaire ouh le vilain; et 2) l'Aaaanalyse, le retour perpétuel sur soi, non seulement sur ses actes mais sur ses intentions, sur la "représentation mentale" qu'on se fait du métier, etc. etc. etc. Alors concrètement ça donne quoi? On se réunit une fois par semaine à une douzaine, toutes matières confondues, avec un formateur et un "protocole" (ah oui punaise le protocole) tellement précis qu'à la pause clopes on se rend compte en discutant avec les autres groupes qu'ils ont fait strictement la même chose que nous à la question près comme ça pas de jaloux, les tables disposées "convivialement" en cercle ou en rectangle, face au "paper board" d'où jaillira la synthèse créatrice après quatre heures de grattage collectif de conscience. Oué parce que ça dure quatre heures, leur truc. Pour l'intitulé du protocole, je n'ai qu'à recopier mon petit cahier:

Maîtres mots: Discrétion, Implication, Ecoute positive, Echange

Etape 1: Recueil de situations par un tour de table (par oral ou par écrit)
Etape 2: Choix collectif d'une situation parmi toutes celles évoquées
Etape 3: Exposé détaillé de la situation par l'intéressé
Etape 4: Re-tour de table visant à questionner la situation
Etape 5: Analyse et synthèse sur paper-board

Vous noterez que le terme absent de ce prrrotokhôle est le mot "solution", y a pas de hasard, je vous dis.

Donc pour ceux qui ont du mal à visualiser, c'est exactement le principe des alcooliques anonymes, on commence par se présenter sous le regard bienveillant de ses congénères et on évoque un truc de son "vécu d'enseignant" en fonction de l'ordre du jour. Le classique étant: "citez un point négatif et un point positif que vous aurez rencontré cette semaine". Alors on évoque toutes sortes de problèmes du "les surveillants n'arrêtent pas de me prendre pour une élève" (solution immédiate ben évite d'arriver en cours avec ton jean, ton pull informe, tes Converse et ton sac à dos Eastpack, ah non pardon, je peux pas lui dire, c'est pas dans le protocole, désolée je vais me rendormir) au classique "j'arrive pas à obtenir le silence" patati patata. Ensuite, on passe à l'étape 2 et c'est là que vous vous mettez à vous demander sérieusement ce que vous foutez là étant donné qu'il y a onze chances sur douze pour qu'on ne parle pas de votre problème - si tant est que vous en ayez un cette semaine-là dont vous n'ayez pas déjà parlé avec le prof qui vous sert de tuteur sur votre lieu de stage mais on va encore dire que je fais du mauvais esprit... Au bout d'un moment, j'avais pris le parti de chercher des trucs rigolos à évoquer, histoire d'égayer l'atmosphère, mais à la longue, la formatrice avait dû me cerner et ne me prenait plus trop au sérieux, comme le jour où je racontai qu'une élève, insupportable en classe, m'attendait toujours devant la salle des profs parce qu'elle voulait discuter mais quand je venais (après avoir magnanimement écrasé ma clope à peine consumée) ne trouvait rien à me dire, tortillant le bas de son pull d'un air gêné. Puis un jour, dans une lettre, elle m'expliqua qu'elle ne s'entendait pas du tout avec sa mère (sa mère qui d'ailleurs, quand on lui parlait des insolences de sa fille, se félicitait de son caractère bien trempé) et que depuis un jour où j'étais venue lui demander ce qui n'allait pas alors qu'elle pleurait en cours, elle s'était mise à rêver la nuit que j'étais sa mère de substitution et que ça l'obsédait sans cesse blabliblablo... Huhu n'est-ce pas? Le pire est que je n'ai rien inventé ce coup-là c'était vrai et j'aurais bien aimé avoir l'avis d'une pointure en pédopsychologie parce que c't'un peu perturbant quand même, mais on n'a pas dû me croire, et on préféréra passer les quatre heures à analyser le problème d'un prof d'EPS face au cruel dilemme consistant à faire courir ou non un élève qui dit avoir mal à la cheville mais n'a pas de certificat médical pour justifier sa flemme. Problème hautement universel et qui concerne absolument tous les profs de toutes les matières n'est-il pas? Quatre heures dessus, je vous dis.

Bref, on nous aurait fait nous mettre deux par deux et pleurer dans les bras les uns des autres que ça m'aurait pas étonné plus que ça.

Bon, allez, demain je vous parle des cours didactiques sur l'enseignement de la grammaire, y a du lourd.