J'aime pas les mariages. Non seulement parce que, comme toutes les grandes et exceptionnelles réunions de famille, on commence à se prendre des souvenirs déjà vieux de dix ou quinze ans dans les gencives et qu'on se dit que ça ne fera qu'empirer. Mais surtout parce que le bonheur des autres, et ben c'est chiant. Surtout quand tout le cynisme du monde n'arrive plus vraiment à te convaincre que t'échangerais ta place pour rien au monde...

Il est des gens pour qui le bonheur a l'air si simple. Pourquoi eux, je me le demande? L'ont-ils mieux mérité, pour avoir été plus sympas avec leur prochain que le commun des mortels? Sont-ils tout simplement plus clairvoyants, dans le choix de leurs actes, des personnes à qui ils décident de faire confiance, de sorte que ça ne leur pète pas dans les doigts les laissant tous nus sur le bord de la route un beau matin? Est-ce parce qu'ils ont écouté leurs parents ou au contraire parce qu'ils ont su s'en séparer?

Alors oui je sais qu'il y a toujours des nuages dans leur vie à eux aussi, mais je le vois bien: ça ne dure jamais. Il y a des passages à vide, la fatigue, l'incertitude du lendemain, parfois, des engueulades. Oui je sais. Mais leur arrive-t-il de se retrouver à souhaiter jusqu'à la moëlle pouvoir revenir en arrière, se prendre la tête à deux mains en se demandant bien diable pourquoi ils ont pu être aussi cons ou aveugles? Leur arrive-t-il de contempler un jour la liste de tout ce sur quoi ils ont fait une croix et s'apercevoir qu'ils se sont faits couillonner depuis le départ?

Dans ma famille, et dans mon éducation, on m'a toujours dit que quand on était dans la mouise, ou quand on voulait être sûr de ne pas se tromper de chemin, il fallait demander à Dieu de nous indiquer un peu la marche à suivre.  A une époque j'y ai cru. J'aimais un garçon, j'étais persuadée que "c'était lui" comme on dit. Prières et tout, ça persistait, pour moi je vivais les prémices de ce qu'on raconte ensuite l'oeil mouillé, durant le sermon de ma messe de mariage genre deux âmes, la lumière divine, la grâce et c'est parti pour des années de bonheur simple. J'en demandais pas plus, moi, je voulais pas de passion échevelée, ni de tragédie amoureuse couteau sur le coeur et tout... Mais ben voilà, là où ça marche pour les cousines, moi non seulement je me suis cassé les dents sur un type qui a à peine su que j'existais, mais j'ai connu à cette occasion la plus cuisante des humiliations. Ceci, tout en me confirmant que le ridicule hélas ne tue pas, m'a sérieusement interrogée sur le bien-fondé du biblique "Frappez et on vous ouvrira".

Je fus donc convaincue par la suite qu'il n'y a pas de destin pavé de petites fleurs blanches, que si on veut trouver faut chercher, et après si on veut garder, faut pas compter sur autre chose que ses propres forces. Alors au début ça a marché.

Et puis non.

Aujourd'hui je me retrouve: brouillée avec ma famille et amputée de tout soutien de leur part, complètement dépassée par le handicap de mon fils, incapable de rendre mon homme heureux ni de gérer ma maison. Les nerfs à vif en permanence, capable de colères insoupçonnées, je me ronge à petit feu ne sachant même pas si je veux encore essayer de faire tenir debout un truc bancal et branlant depuis trop longtemps ou faire sauter encore un autre pont dans l'espoir d'un avenir meilleur...

Je ne suis pas victimaire (même si on dirait un peu, là). Je n'arrive pas à croire que le sort s'acharne sur ma poire, ni que je suis punie d'un truc salaud que j'aurais commis dans une vie antérieure... Non franchement, je ne m'en prends qu'à moi, mais... ce que je n'arrive pas à élucider, c'est le moment où ça a commencé à buguer, ce que j'ai mal fait, ce que j'aurais dû faire, pour me retrouver aujourd'hui un tout petit peu plus heureuse (et les gens dont je suis responsable aussi) que je ne le suis ici et maintenant.