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Ayant la mauvaise habitude de chercher la formule synthétique avant le développement des idées, je n'ai pu m'empêcher, alors qu'il me fallait réfléchir sur la jeunesse, de la définir en ces quelques termes: "la jeunesse est ce qui croit être adulte" ou, peut-être plus justement, "la jeunesse est l'âge où l'on se croit être la mesure de toute chose". "Se croire être" me semble le plus petit dénominateur commun à la jeunesse, dans la diversité de ses formes et son caractère fugitif. L'illusion que l'on a de soi et du monde, qui s'impose cependant avec la force de la certitude. Vue depuis l'Antiquité comme un préambule à l'âge adulte, synonyme d'inexpérience et mère d'excès divers, elle n'en reste pas moins célébrée unanimement comme un bien précieux et périssable, objet de regret nostalgique pour les uns, de reconquête acharnée pour les autres. Or on ne peut désormais ignorer que la société moderne ne cesse de gommer progressivement ce caractère transitoire, "devant être dépassé", de la jeunesse - il fut un temps où il fallait "que jeunesse se passe" - pour la prolonger indéfiniment, la faisant non seulement empiéter sur l'âge adulte, prendre la vieillesse en otage, mais aussi déborder sur l'enfance. Ce constat établi, on peut se demander pourquoi et comment avoir fait de la jeunesse la vertu absolue, mais surtout quelles sont les conséquences de cette fixation de l'existence dans l'éternité d'un présent idyllique.
La révolution pédagogique ou comment l'élève est devenu son propre maître.
Si cette mutation dans la valeur attribuée à la jeunesse ne fait aucun doute, il est en revanche plus difficile d'en trouver sinon la cause, du moins le point d'appui à partir duquel le changement s'est amorcé. A quel moment la jeunesse est apparue comme porteuse des seules qualités valables de l'homme? A quel moment a-t-on cessé de vouloir guider les jeunes gens (sens originel du mot "pédagogie") vers le progrès intellectuel et spirituel pour au contraire en faire l'objet et la fin de tout apprentissage?
En parcourant les textes dits fondateurs des pontes de la pédagogie moderne, on constate que les deux figures tutélaires invoquées le plus fréquemment sont Platon, et Rousseau. Platon, non pour sa République, mais drastiquement réduit à une seule expression de la maïeutique socratique, à savoir la leçon de géométrie du Ménon, au cours de laquelle Socrate conduit par étapes successives un esclave sans instruction à résoudre "par lui-même" le théorème de Pythagore. De ce simple exemple, le nouveau pédagogue tirera la conclusion hâtive que l'élève possède déjà toute forme de savoir, attendant seulement de se révéler à lui par l'entremise de l'enseignant. A cette supposition pour le moins hasardeuse s'ajoute la caution spirituelle de l'Emile de Rousseau, dans lequel l'enfant tire sa connaissance non d'un savoir-savant, selon l'expression consacrée par les sciences de l'éducation, mais de ses expériences progressives. Le jeune est non seulement le détenteur inconscient de tout savoir, mais aussi celui de toutes les vertus. La spontanéité devient la valeur absolue, l'ultime lien avec l'homme originel, persistant malgré les attaques de la société policée des adultes. Dès lors, les excès de langage ou d'humeur se parent des couleurs de la passion, la révolte vindicative se voit portée au pinacle, aux dépends de la réflexion mûrie et du discours argumenté. La spontanéité devenue la condition sine qua non de l'"être vrai", on se voit jeter le soupçon et le discrédit sur tout ce qui pourrait en éloigner les jeunes et purs esprits: la discipline devient formatage, l'apprentissage méthodique devient du bourrage de crâne, etc.
De la jeunesse au "jeune"
Cette assimilation - consciente ou non - de l'état de jeunesse à l'état de nature, tend à concéder à la jeunesse un être propre, à préserver le plus longtemps possible chez ses détenteurs et à reconquérir par ceux dont l'âge ne permet plus de s'en réclamer. On parle désormais de moins en moins de la jeunesse comme d'un âge, une étape de l'existence, mais comme d'une classe sociale à part entière, avec sa culture, ses rites et ses codes. Et plus encore, par ce glissement sémantique quasi systématique qui substitue l'usage de l'adjectif à celui du nom, comme si la qualité suffisait dorénavant à définir l'être, on parle maintenant presque uniquement du jeune. Le jeune est devenu cette entité effrayante et merveilleuse de qui l'adulte, corrompu par ses concessions répétées à la société, a tout à réapprendre.
Il devient donc naturel de conclure en une vertu prophylactique de la jeunesse, rejaillissant sur celui qui saura lui plaire et s'attirer ses faveurs. Ceci conduit les "pédocrates" à observer une attitude paradoxale constituant à, d'une main, parer la jeunesse de toutes les vertus, et de l'autre la dégager de tout forme de responsabilité. Car le jeune est avant tout victime, non de son manque d'expérience, non du caractère incomplet de son état, mais de l'oppression sauvage du monde des adultes. C'est ainsi que l'on entend souvent les eunuques du sérail que sont les enseignants et les psychologues, imputer la violence du jeune au fait d'avoir dû grandir trop vite et d'avoir été "privé d'enfance", ayant été propulsé manu militari dans l'âge obscur des responsabilités et des frustrations sociales. Or pourtant, comment ne pas voir la similitude étrange entre le vandalisme permanent d'une certaine jeunesse comme outil de revendication sociale, et l'expression des colères enfantines, qui s'en prennent à l'environnement immédiat, cassant leurs propres biens pour obtenir satisfaction? Si les dégâts, décuplés par le nombre et les moyens utilisés, n'ont rien de comparable, l'intention de départ en est identique: impatience, immédiateté et toujours, refus absolu de se remettre en question.
Le militantisme de l'instant
Il en est de même de ses engagements plus "sympathiques": le maître-mot du jeune militant est qu'il faut "faire bouger les choses". Mais cette généreuse résolution n'oblige à aucun projet réfléchi, à aucune évaluation concernant le souhaitable ou l'envisageable, mais permet de brasser de l'air au nom de grandes et nobles causes. Faire du bruit, se rassembler dans la rue dans une ambiance de fête, témoigner par l'affect son insatisfaction de l'état des choses, mais en remettre pourtant la résolution aux mains du hasard, pour le pire ou le meilleur, cela ne semble pas importer pourvu que "ça change".
On peut aussi formuler cette expression minimale du désir par le souhait qu' "il se passe quelque chose". Et une fois de plus une petite analyse grammaticale s'avère révélatrice. Les jeunes sont incapables de se penser comme des sujets agissants, ils attendent, au mieux réclament bruyamment, que les choses changent d'elles-mêmes, que les événements se produisent, se contentant d'acclamer ou de huer au besoin. Plutôt que de jouer sa propre partie, la jeunesse ne sait plus être autre chose qu'un public de jeux du cirque, spectatrice impuissante mais néanmoins persuadée de son omnipotence, prête à décréter indifféremment grâce ou mort pourvu qu'il ne lui en coûte que quelques cris et un geste du pouce. Dans une telle cacophonie, toute tentative rationnelle de rappeler la réalité des faits et des choses est considérée non seulement comme une manoeuvre répressive, mais surtout rabat-joie.
Selon cette logique, l'antithèse du jeune n'est pas tant le vieux que le triste, ou plutôt le frustré. Car le culte de la spontanéité ayant jeté le discrédit sur toute forme d'ascèse morale ou intellectuelle, celui qui pense ou réfléchit est automatiquement soupçonné de "n'avoir rien d'autre à faire", voire de n'avoir "pas de vie", n'ayant pu ou su goûter aux joies des divertissements pascaliens, et cherchant à noyer sa frustration en empêchant les autres de danser en rond.
Seulement, nier le caractère inachevé de la jeunesse conduit à lui refuser la possibilité de se perfectionner. L'adolescence, que l'on appelait il fut un temps "âge ingrat" n'était que l'extirpation finale de la tiédeur utérine de l'enfance pour partir à la conquête de l'âge d'homme. Aujourd'hui elle demeure un bastion irréductible et surpeuplé, se ramifiant en nouvelles catégories sociologiques, du "préado" à l'"adulescent" (j'attends prochainement la proclamation du "sénadule" qui ne saurait tarder). Privé des modèles anciens, aujourd'hui discrétités, bloqué entre le refus du passé et l'incapacité à envisager l'avenir, le jeune n'a plus qu'à se réfugier dans la communion répétée de l'instant vécu tous ensemble, se condamnant au festif permanent, à la perpétuité d'un présent sans perspective.
Commentaires :
Galaktée |
Très pertinent!
"le jeune" devient en effet une sorte d'etre à part, touché par la grace de l'éternelle jeunesse et de la spontanéité créatrice. Ce phénomène est encore plus perceptible en Allemagne, où l'étudiant reste un "jeune" durant de nombreuses années, empiétant bien au-delà de sa trentième année, jusqu'à ce qu'enfin, cessant d'etre un "jeune", il entre dans la vie active. Mais là, il regrette alors de ne plus etre un étudiant, un "jeune", libre, ouvert à toutes les possibilités et à tous les désirs.. En somme, le "jeune" est la création fantasmée de la frustration (immature)adulte... Moi je dis, faut faire quelque chose, faut qu'on se bouge!!;) |
Moute 20-01-07
à 21:54 |
Hm... Je suis jeune, j'aime réfléchir et je me sens loin d'en être frustrée... Ma jeunesse prendrait-elle le pas sur mon envie de réflexion pour me persuader (en me motivant) que c'est par cette même réflexion que je pourrai peut-être changer quelque chose, ne serait-ce que moi-même? Hoho...
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nemO 22-01-07
à 18:04 |
Serait-il possible d'avoir le contexte du propos? Son intention à la limite?
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Jokeromega 04-02-07
à 03:31 |
Chapeau pour la réflexion. |
à 19:42