Ce qui suit est l'une des chansons qui a bercé mes soirs d'enfance. Attention, ça déchire. Trois quatre:

"Entendez-vous dans la plaine
Ce bruit venant jusqu'à nous?
On dirait un bruit de chaînes
Se traînant sur les cailloux...

C'est le grand Lustukru qui passe,
Qui repasse et s'en ira
Emportant dans sa besace
Tous les petits gars qui ne dorment pas!"

Bon, il y a une ritournelle en lonlonla lirelalonla que je ne vous fais pas, parce que, bon... Alors certes, les génération élevées aux pâtes lustucru ne peuvent s'empêcher de pouffer bêtement au premier couplet, mais la suite, vous allez voir, c'est flippant...

"Quelle est cette voix démente
Qui traverse les volets?
Non ce n'est pas la tourmente
Qui joue avec les galets...

C'est le grand Lustukru qui gronde,
Qui gronde et bientôt rira
En ramassant à la ronde
Tous les petits gars qui ne dorment pas!"

Là, j'imaginais toujours une ombre inquiétante et un hurlement lugubre se dessinant derrière les volets (ouioui, le hurlement se dessine aussi...) Mais attendez, au prochain couplet, ça se rapproche dangereusement, écoutez...

"Qui donc gémit de la sorte
Dans l'enclos tout près d'ici?
Faudra-t-il donc que je sorte
Pour voir qui soupire ainsi?

C'est le grand Lustukru qui pleure:
Il a faim et mangera
Tout crus tout vifs, sans pain ni beurre
Tous les petits gars qui ne dorment pas!"

Curieusement, l'image qui me marquait le plus, dans ce couplet, ce n'était pas tant les enfants dévorés vifs que le Lustukru qui pleure... Ca me faisait un peu pitié et je me demandais pourquoi il pouvait pleurer... Peut-être que ça ne lui plaisait pas tant que ça, de manger les petits enfants... Mais voici la suite, parce qu'il faut bien que les parents se donnent raison:

"Qui voulez-vous que je mette
Dans le sac au vilain vieux?
Mon p'tit gars et ma Jeannette
Viennent de fermer les yeux...

Allez-vous en méchant homme
Quérir ailleurs vos repas!
Puisqu'ils font leur petit somme,
Non vous n'aurez pas mes deux petits gars!"

Et là, franchement, voir ce pauvre Lustukru se faire virer comme un malpropre, le ventre vide et tout, ça me fendait le coeur. Il y a même des soirs où, à imaginer ce pauvre diable, que sa seule condition d'ogre obligeait à manger des enfants, errer de maison en maison sans pouvoir se rassasier, parce qu'évidemment, les petits enfants s'endorment forcément à la fin de la chanson, eh bien moi, ça me faisait pleurer... Et alors, je m'imaginais aller voir ce pauvre Lustukru et lui expliquer qu'il pouvait manger autre chose, comme du poulet... ce n'est que plus tard, quand la perversité s'installa irrémédiablemet dans mon âme candide, que j'eus l'idée d'aller lui indiquer les coins qui regorgent de sales gosses bien gras et dodus et qui se couchent à pas d'heure...

Dans mon titre, j'employais le pluriel, mais les autres berceuses, faites de marins qui meurent en mer pendant que leur pauvre fiancée ou leur pauvre mère se meurent de les attendre en priant la Sainte Vierge, c'est moins marrant...