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Hier, je me lamentais sur mon sort et réclamais une épaule pour pleurer. Aujourd'hui je viens de comprendre que moi-même n'avais jamais offert la mienne à personne, alors que c'était peut-être le plus important.
Retour place Beaubourg, après un bref coup de fil qui coupait enfin ce trop épais silence, d'une voix fatiguée et soucieuse dans laquelle je trouve une confirmation à l'obscur pressentiment concernant son absence.
Cette fois-ci, je nous vois arriver simultanément sur la place. C'est comme d'habitude au pied du pot de fleurs géant que nos trajectoires se rencontrent en une brusque étreinte silencieuse de quelques secondes suspendues joue contre joue. Même si je lui en veux un peu, un sourire irrépressible me barre le visage. Je sens son coeur battre lourdement à travers nos manteaux, puis un long frisson naître dans son dos avant d'éclater en sanglots étouffés dans mon cou.
Je ne dis rien et affermis mon étreinte, me redressant comme pour lui signifier qu'il peut se laisser aller, que je suis là forte pour le soutenir, même si mon coeur inquiet imagine le pire pour lui. Mais je reste silencieuse, ma main caresse sa joue et ses cheveux instinctivement, naturellement - je m'aperçois que je fais la même chose pour apaiser mon fils - j'ai envie à ce moment de l'inonder d'un amour sans mots inutiles, de fermer ma gueule, pour une fois,et simplement le serrer de toutes mes petites forces.
Enfin, il s'apaise, reprend constance en un clin d'oeil, murmurant qu'il fallait bien que ça sorte à un moment ou à un autre, puis il me sourit me demandant comment je vais... Comme si rien ne s'était passé.
Nous attendons de trouver un café un pe moins bondé que les autres pour nous mettre à parler sérieusement. Il me raconte alors la cause de son état. Une histoire sombre et sordide à laquelle il ne peut strictement rien mais au centre de laquelle de mauvais concours de circonstances et de relations l'ont fait se trouver comme au coeur d'une spirale visqueuse, et dont il doit néanmoins subir d'ignobles contre-coups... Au fur et à mesure de son récit, il semble reprendre le dessus, retrouver un peu de son air détaché, nous parvenons même à rire de certaines choses. Et pourtant, il n'y a pas de quoi...
Puis nous changeons de sujet, l'éloignement et sa rupture de prudence avec les medias courants nous laissent encore un tas de choses à nous dire, entre silences, sourires et mains posées sur la joue, les fronts qui se joignent en une tendre et rieuse communion. Je sens ce fluide, cette confiance inamovible entre nous; plus encore que de le sentir ami, je me sens amie, repayée au centuple du peu qu'elle parvient à lui donner.
Deux heures plus tard, soirée encore trop courte, nous rejoignons les nôtres avec, dans la poche, la promesse de se voir dans la semaine et au coeur ce lien incommensurablement renforcé, irradiant...
Ce n'est qu'en rantrant dans le métro que j'ai pris conscience que ce fut en fait mon baptême d'épaule, peut-être mon premier ami.