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Attente place Beaubourg huit heures du soir. Je suis en avance. Je n'aurais pas dû courir en sortant du métro car j'arrive à peine à réprimer les palpitations de mon coeur. Regard balayant, il n'est pas encore arrivé. Etrange géométrie de cette place rectangulaire. Des groupes assis épars, pourtant tous orientés dans la même direction à cause du plan incliné, vers la facade illuminée du bâtiment. On dirait un public dans l'attente de l'ouverture du spectacle. Que va-t-il se passer? Le bâtiment va-t-il s'éloigner lentement du quai comme un paquebot prenant la mer? Il y ressemble un peu avec ses tuyauteries apparentes, ses manches à air et ses passagers que l'on voit se promener dans les coursives éclairées ou s'appuyer au bastinguage. On voudrait leur faire signe depuis la terre mais on se ravise.
Le ciel s'assombrit et les passants dont les silhouettes aux contours adoucis par les lumières criardes du hall semblent découpées dans de la feutrine noire, contribuent à donner à l'ensemble des allures de maquette... On se croirait en figuration pour le projet de l'architecte, petits personnages de carton qui, en donnant l'échelle, s'appliquent à donner aussi l'image épanouie d'un bonheur urbain. Je n'ai pas à me forcer beaucoup, on ne s'y sent pas si mal, finalement.
Attendre et résister à l'envie de l'apercevoir de trop loin, ne pas songer au temps qui passe. Je me force à garder les yeux rivés sur l'espèce de rail au sol qui guide mes pas en ligne droite d'un bout à l'autre de la place et à ne percevoir les alentours que par les autres sens. Les gens se déplacent tous à peu près de la même manière, sur le même rythme avec d'infimes variables. Je guette le pas plus pressé, la silhouette qui s'approche plus vite que les autres, plus près, celle qui ne respecte pas la distance naturelle des anonymes inconnus, celle dont je suis la cible. Dans mon dos, je crois sentir le rapprochement d'un souffle, je ne veux pas me retourner et retiens ma respiration en attendant "l'impact" avec un léger vertige, comme au bord du quai quand le métro entre en gare. Et comme le métro, le coureur me frôle dans une aspiration et continue sa course vers une autre silhouette qui déambule à quelques mètres devant moi. Je me rends alors compte que cette figurine sombre, que je n'avais même pas distinguée des autres, a été reconnue par quelqu'un, que ses contours, sa démarche, son port général devaient être, pour une et personne au moins, reconnaissables entre mille et qu'ainsi, elle naquit aussi à mes yeux.
Je balaie à nouveau la place d'un regard circulaire. Cette fois, c'est lui qui est en retard, je n'ose pas savoir de combien mais j'ai déjà arpenté presque quatre fois la longueur de mon "rail"... Je veux laisser échapper un léger gémissement d'impatience,mais ma gorge enrouée ne laisse filtrer qu'un râle à peine audible qui va s'étrangler dans l'aigu chevrotant d'une mue mal accomplie... Je n'aurais jamais dû, non pour ce son ridicule que je fus la seule à entendre mais parce que ce premier mouvement d'énervement appelle alors tous les autres qui viennent se bousculer à la sortie de mon coeur, porteurs narquois de cette idée dominante: "Il ne viendra pas". J'imagine en une seconde, sans pouvoir m'en défaire, la traitrise imparable de l'improviste et bien sûr pas de portable, l'attente inquiète refroidie encore une petite heure, pour être sûre et le retour. Les larmes retenues dans le métro soignées tant bien que mal par des bordées de "je le déteste" pour enfin rentrer et trouver un message se confondant en excuses mais vous savez, l'imprévu, je m'en veux, promis-juré nous nous repaierons et tout et tout toujours bien à vous, M. et l'envie de ne plus le voir, humiliée de ne pas avoir été préférée à ce rendez-vous urgent, ce service irrefusable et l'on se dit...
Mais il arrive. Une fois encore, je l'ai vu la première. 20 minutes il va m'entendre et bien, cette fois... Mais mes griefs d'impatience exaspérée s'envolent un à un à chaque pas qui me rapprochent de lui.
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